Action

Aborder la matière sous l’angle d’une réalité aussi impressionnante qu’un hôpital, ses circulations, ses compartiments très structurés, son mouvement ininterrompu, requiert d’abord un regard extrêmement lucide. De ce constat, servi par l’œil d’une caméra qui enregistre ce continuum, Valérie Ruiz a fait une matrice formelle, émotionnelle et esthétique asservie avant tout à l’irrépressible besoin de se référer à l’humain. Le geste du peintre se suspend d’abord à la parole du lieu et de ceux qui s’y meuvent ; il appréhende cette relation au quotidien hospitalier mais aussi cette rencontre inédite avec des artistes qui viennent en stimuler la seule vérité médicale. De cette alchimie surgit alors une étonnante matière créative où se mêlent images, sons, paroles, vitesse dans une forme d’allégorie merveilleuse de la vie. Il ne reste plus qu’à tendre la toile comme un ultime piège de ce réel réinventé pour y capter -dans un choix plus subjectif et une construction plus élaborée – l’essentiel d’une oeuvre nourrie par les autres mais profondément assumée.

©Dominique Bannwarth Janvier 2003 Directeur de la rédaction « Journal L’Alsace »

Silence Totalité ss titre 1 from Ruiz Valérie on Vimeo.

 

Réalisation

« Avant de surgir par surprise au grand jour, les laves volcaniques malaxent longtemps, la matière et le feu, en silence, au plus profond des cratères.

Et puis un jour, c’est là, il faut bien se faire à l’évidence, l’irruption si longtemps retenue se manifeste à tous, dans sa brutalité, sa splendeur, sa souveraineté.

Il faut donc se faire à l’évidence : Valérie Ruiz est un volcan.

Les phases d’élaboration de son oeuvre sont longues, fastidieuses, chaotiques et opaques.

Même quand elle cherche la confrontation avec les autres, les autres en situation extrême, l’opacité des intentions reste entière (par exemple ces actions dernières dans les différents secteurs de l’Hôpital )… Cette transposition d’une solitude (celle de l’atelier) à une autre (celle de l’espace social) implique pourtant des négociations, des compromis, des discours institutionnels sur l’importance réelle ou supposée de la place de l’art contemporain dans le processus d’amplification ou de ralentissement des décadences en cours.

Nous comprenons donc bien que quelque chose d’autre est à l’œuvre, nous comprenons bien qu’un mystère cherche les moyens de se révéler, nous comprenons bien que l’objet et l’enjeu de cette quête ne sont en rien réductibles à l’argumentation ni même au langage, nous comprenons bien que se manifeste ici une impérieuse nécessité et que celle-ci n’est plus négociable, mais au fond, nous ne comprenons pas réellement ce qui nous arrive… Et quand, au terme d’un processus de maturation complexe, l’œuvre, enfin, advient, ce qui nous frappe et seul demeure est la singularité, la force et l’évidence de la vision. Il se trouve que celle-ci nous devient alors simplement nécessaire. »

©Pierre Bongiovanni Janvier 2003

 

 

 

Texte de Paul Guérin Février 2003_Valérie RUIZ
Lorsque l’on tente de porter un regard rétrospectif – curieux mais forcément
superficiel – sur les quarante premières années de l’art vidéo, on ne peut manquer d’être frappé du très grand nombre d’œuvres qui semblent avoir pris – et souvent mêlé… – l’une ou l’autre de ces deux options: soit la mise en scène du corps, dans une déconcertante variété de cadrages, d’actions ou de situations; soit l’exploration – joueuse ou fascinée – des possibilités plastiques inédites offertes par cette technologie de l’image. La série d’œuvres de Valérie Ruiz intitulées Silence ailé, Silence voilé et Silence intime témoigne par rapport à ces deux orientations d’un écart, parfaitement significatif de la trajectoire qui a conduit cette artiste de la pratique de la peinture et de la gravure à usage très personnel des moyens de la vidéo.
C’est en effet une subtile superposition de couches de visibilité qui caractérise ces bandes réalisées dans le cadre d’un projet à l’hôpital de Mulhouse: l’une d’entre elles montre l’activité d’une équipe soignante dont les déplacements l’amènent à passer devant un mur où s’empilent, pour former une sorte de bas-relief, des bustes, analogues à ceux employés dans les ateliers de couture, et sur lequel est projeté l’image d’une chanteuse exécutant une brève vocalise. Silence intime laisse voir les mouvements d’une danseuse dont le corps est partiellement caché par des panneaux translucides isolant le lieu retiré où elle se trouve et qui nous devient visible sous l’image fragmentaire d’un corps féminin cadré à la jointure des cuisses. Cette complexité visuelle se laisse d’ailleurs plus clairement discerner dans les photographies, chaque fois affectées d’une tonalité chromatique dominante, que Valérie Ruiz extrait des arrêts sur image de la bande vidéo. Il en résulte donc pour le spectateur une situation singulière dans laquelle la qualité proprement picturale de la photographie dévoile la théâtralité particulière aux tableaux vivants tout à la fois enregistrés et composés au moyen de la technique vidéo. La brièveté de ces bandes fait prévaloir sur le développement d’un contenu narratif la mise en présence de rencontres imprévisibles où la danse, la musique ou le chant entrent ainsi en communication pour donner sens et corps à l’expérience que Valérie Ruiz a voulu vivre dans cet hôpital de Mulhouse, à cette interrogation sur sa situation d’artiste qui est depuis toujours au cœur de sa démarche personnelle, aussi bien dans son travail solitaire à l’atelier que dans les collaborations qu’il lui est arrivé de nouer avec des groupes de théâtre. L’authenticité de son engagement va en effet au-delà d’une participation à ce qu’on a appelé le décloisonnement des arts ou encore d’une animation artistique en milieu hospitalier pour inscrire dans ses œuvres la confrontation de l’art à ce qui n’en est pas: la voix d’une chanteuse avec le silence froid d’un hangar désert, le corps d’une danseuse à laquelle l’atmosphère étrange d’une cuisine dans un entresol avait soudain suscité l’envie de s’y mettre nue….comme si par cette réaction spontanée l’art entrait à sa manière en résonance avec l’esprit d’un lieu et d’une collectivité humaine exclusivement consacrés à la réalité douloureuse de la fragilité mais aussi de la vitalité tenace des corps.
Dans une telle perspective, le recours à la vidéo prend chez Valérie Ruiz une valeur bien spécifique: au lieu d’exploiter toute la gamme des manipulations numériques du visible par lesquels cette technique tend à devenir un art autonome – ce que confirment des artifices ultra-modernes simulant la troisième dimension d’un univers virtuel – elle n’en retient que les procédés permettant d’une part, comme en une nouvelle modalité de la gravure ou de la peinture, la transparence de couches d’image et, d’autre part, la modification du temps de ce qui est ainsi « simplement » enregistré. La vidéo devient alors une extériorisation et, du même coup, un partage de l’activité de l’esprit établissant des rapprochements insolites entre ce qui se passe dans la réalité, ralentissant parfois le flux des évènements pour en rendre sensible dans un suspens énigmatique une signification dès lors plus intime – celles que peuvent avoir pour chacun d’entre nous l’envol, dans Silence ailé, d’un oiseau surimprimé au passage de civières – et offrant dans ce qui est ainsi entrevu, la chance d’une intuition qui pourrait un jour se révéler précieuse au hasard de notre existence. N’oublions pas que dans son étymologie latine, le mot « video » signifiait: « je vois » !..